Snowman [LIBRE]

Début de soirée. Froid. Neige. T'as finis ton service au macdo depuis un moment. Mais t'es pas à l'immense baraque où t'es censé logé. Enfin, t'y es plus. Tu t'es barré. T'as pris tes jambes à ton cou. T'as fuis loin de cette atmosphère étouffante, oppressante, détestable. T'en peux plus, t'es juste lessivé. Tu veux une vie normale. Tu réclames un peu de paix. Qu'on te foute la paix bordel de merde.

T'es en train de courir, en chaussettes dans la neige. En Tshirt dans le froid. Tshirt à manches longues. Comme si ce foutu détail allait te protéger davantage. Tu sens la morsure du froid sur ta peau. A vrai dire, tu t'en fiches un peu. Les larmes dévalent tes joues, finissent leur course emportées par le vent. Tu pleures, oui. Tu pleures pour la énième fois de ta vie. Tu pleures et tu cours sans t'arrêter. Sans but précis, sans savoir où tu vas aller. Juste te retrouver loin de cette infâme maison. Juste loin de cet être horrible, cet  homme que tu crois aimer. Non tu ne l'aimes plus, cette fois-ci, c'est terminé. Tu sais pas mentir alors comment tu peux te mentir à toi-même ?

Mais cette fois-ci, Eden est allé trop loin. Quand t'y repenses, depuis la première fois où il a levé la main sur toi, il est allé trop loin. Sauf qu'il n'a jamais touché à ton visage. Jamais de gifles, jamais de bleus sur la figure. Toujours les bleus décorant ton corps. Mais jamais d'oeil au beurre noir. Jamais de nez cassé, jamais d'oreille ensanglanté. Jamais rien qui puisse enlaidir ton faciès. Comme si c'était une zone précieuse.

Dans ta course, tu effleures ta joue de tes doigts fins. Le froid semblait avoir anesthésié la blessure, mais une vive douleur te rappelle à l'ordre. Joue enflée, joue douloureuse, cœur douloureux aussi. Un peu plus de larmes à chaque fois. Il a finalement brisé l'exception en touchant à ton visage. Son poing y est arrivé sans crier gare. T'as été étourdi pendant de longues secondes. Il l'a immédiatement regretté, il a rapidement compris que ce fut le geste de trop. Quand t'as senti ses bras autour de ton corps, tu l'as regardé comme un animal affolé. Puis tu l'as repoussé et t'as trouvé la force de claquer la porte de la maison et de t'enfuir loin. Très loin.

Voilà où t'en es maintenant. Tu cours juste dans la neige, dans la rue, dans le froid, jusqu'à l'épuisement. Et cet épuisement finit par te prendre et te jeter par-terre dans le drap vaporeux de la neige. T'es tombé comme un con. Et tu veux pas te relever.

Et tu chiales parce que tu te sens faible, idiot, inutile. Tu te sens rien du tout.

Artémis de rien du tout.

Lyssa était fatigué. Et un peu con. Il marchait tout seul dans la neige, observant la ville silencieuse autour de lui. Dès que le soir arrivait, dès que la nuit tombait sur Polaris, l'Octant devenait terriblement calme. Il avait le seum de voir son quartier mourir dès que le soleil se couchait, pour être honnête. Surtout que ces derniers jours, Andreas était de moins en moins disponible, et puis il ne connaissait personne dans son immeuble. Même le colocataire chelou d'Andreas, Freya, ou Freyja, il ne savait plus trop, ben... Même lui il ne le connaissait pas, c'était à peine s'ils s'étaient déjà dit bonjour en se croisant dans les escaliers en vrai. Mais bon. Lyssa était bien, tout seul, finalement. Il était bien, loin de tous ses tracas, est ce que machin m'aime bien finalement, ou est-ce que je suis simplement un bouche trou, et gnagnagna. Les années lycée lui paraissaient bien loin et c'était tant mieux. Même s'il angoissait de plus en plus. Qu'est-ce qu'il allait faire à la rentrée prochaine ? Il n'avait aucune idée du cursus qu'il voulait emprunter, des études qu'il voulait commencer. Ses résultats scolaires n'étaient pas brillants, bien au contraire, et il se payait quand même le luxe de faire une année sabbatique. Terrible, ce que la richesse et l'argent des parents pouvaient lui faire faire.

En parlant de parents, ça faisait un bail qu'il n'avait pas eu de nouvelles de sa famille. Même si la vieille tête d'Eden était sur tout les magazines, concrètement. Lyssa ne lisait pas de trucs sur son cousin, c'était déjà assez glauque comme ça. Il n'avait même pas de nouvelles de son grand frère, de sa grande soeur. Ils lui manquaient beaucoup, mais bon. Au moins il n'avait pas de nouvelles de ses darons. Ses vieux ne lui manquaient pas du tout, étrangement. Il soupira, observant les petits flocons qui voletaient autour de lui. Il devait rentrer fissa, sinon il allait tomber malade. Il avait un sac de courses à la main, qui contenait une bouteille de pepsi, une pizza et un sac de croquettes pour chat. Glorieux. Il fallait bien qu'il fasse des courses sommaires de temps en temps, hein. Heureusement qu'il vivait sans coloc, sinon il se serait déjà fait virer de son appart. Il ne faisait la vaisselle que quand ça devenait vraiment critique, son chat était insupportable, lui aussi, bref...

Son fil de pensées fut interrompu par la vision d'un mec en train de se casser la gueule dans la neige. Ok, il avait eu un rictus amusé, un peu moqueur, qui s'était très vite effacé parce que putain, il connaissait ce gars. Ses yeux s'écarquillèrent soudain alors qu'il se rapprochait par réflexe. C'était Artémis. Qu'est-ce qu'il fichait ici ? Artémis, l'époux de son cousin. Ils ne se parlaient pas vraiment, ils ne se parlaient pas en fait. Mais Lyssa était bien au courant, de ce que subissait Artémis. Tous les Nataraja étaient au courant, en gros. Il approcha, un peu timide, sachant pas trop ce qu'il était censé faire.

Artémis ?

God, il devait se les cailler sévère, Lyssa avait froid rien qu'en le regardant.

Qu'est-ce que tu fais là ? Il s'est passé un truc avec Eden ?

Il posa une main tendre sur son épaule, hésitant à lui passer son manteau et à lui proposer de venir se réchauffer chez lui.

T’es bien dans la neige. Tu te sens bien, allongé sur ce drap gelé dont la fraîcheur te griffe délicieusement la peau. Tu penses plus à rien, tu restes couché dans la même position, laissant les quelques flocons qui tombent du ciel te recouvrir encore un peu. T’espère que tu vas passer inaperçu et devenir un tas de neige qu’on oubliera dans un coin. Mais apparemment un homme profitant des plaisirs du sol gelé, ça ne passe pas inaperçu. C’est même un peu trop incongru et inquiétant pour qu’on te laisse tranquille.

T’entends des pas s’approcher dans ta direction. Mais tu veux pas regarder cette personne. Enfin, c’est plutôt que tu peux pas vraiment. Tes yeux sont encore tout embués de larmes et tu commences littéralement à congeler sur place. C’était peut-être pas une bonne idée de te casser la gueule par ce temps-là. C’est bien Artémis, redeviens lucide ça vaut mieux pour toi. Redevenir lucide, c’est aussi ressentir toute la douleur des coups à nouveau. Tout te reviens soudainement en pleine gueule. Ta joue gonflée, t’as l’impression qu’elle va exploser dans les minutes qui suivent, tellement la douleur est insupportable. Tu pousses un léger gémissement de douleur. Tout en abandonnant l’idée d’en émettre un deuxième puisque parler te fais encore plus mal.

”Artémis ?”

Comment ça ? La personne qui t’as approché connaît ton prénom ? T’as soudainement peur, tu te demandes un peu bêtement si ce n’était pas un paparazzi qui serait venu t’embêter avec des questions sur ta vie privée. Ou encore une proposition pour un film. Cesse ta paranoïa. Tu te calmes et t’essaies de te redresser un peu. T’étouffe un autre gémissement de douleur. Tout ton corps est courbaturé, t’as l’impression d’être devenu un petit vieux soudainement. Même relever la tête devenait une épreuve à ce rythme-là. Mais tu te laisses pas démonter, faut quand même que tu saches l’identité de ton probable sauveur. Encore un petit effort.

”Lyssa….”

”Qu’est-ce que tu fais là ? Il s’est passé un truc avec Eden ?”

Il m’a foutu son poing dans la gueule mais à part ça tout va bien. C’était peut-être pas le moment de la jouer sarcasme même si t’as envie de lui dire la vérité à Lyssa. Un cousin d’Eden. Il t’en as vaguement parlé, peut-être pas assez. En tout cas, tu le regardes quand il pose sa main sur ton épaule. Il a vraiment l’air de vouloir t’aider. T’esquisse alors un faible sourire, qui ressemble davantage à une grimace. T’as mal au visage.

”Oui mais...c’est pas très grave. J’ai l’habitude.

T’as pas réussi à lui dire la vérité, comme toujours. Tu peux pas t’empêcher de minimiser la situation. C’est rien, c’est jamais rien pour toi. Une petite baffe et ça repart. Oui mais là il a touché à ton visage Arté. Tu tousses un peu et tu grelottes alors que t’as plus ou moins réussi à te relever. Tu tiens pas tout à fait l’équilibre sur tes deux pieds alors tu t’agrippes à Lyssa. Et tu remarques que tu t’es écorché les deux genoux en tombant. Si Eden voit ça, il va te massacrer.

Et t’en peux plus alors tu pleures de nouveau, sur l’épaule du pauvre Lyssa.