─ tonton, tantine, je pense qu'andreas est gay.
un long silence, un silence de mort, s'installe à la table familiale, il n'y a que les adultes, mais tu les sens tous se crisper depuis ton poste d'observation, derrière un coin de la maison de campagne de ta cousine. pendant un instant tu te demande où sont passés tes parents compréhensifs, tolérants, adeptes du voyages, les parents qui ne t'auraient jamais laissé essuyer les remarques désobligeantes et racistes de leurs pairs. et ta cousine, parlons en de cette petite ... petite ... mh. juliette était ... juliette était l'enfant idéale, concrètement, elle était pas une ado rebelle, elle était sage, elle ne fumait pas, ne buvait pas, ne faisait pas de conneries, mais juliette était aussi une pseudo artiste un peu revêche et tout. juliette allait faire les beaux arts de paris et devenir photographe, c'est ce que ta tante aimait répéter sans cesse.
tant mieux pour elle, tu songeais. tu l'aimais bien, juliette, jusqu'ici, vous pouviez discuter littérature et voyages sans que tu passes pour un genre de génie ou un extraterrestre auprès de ta famille. à croire qu'au pays des beaufs, savoir lire c'était un super pouvoir. sauf que voilà, juliette, pendant une soirée d'été, elle t'avait emmené en balade avec elle, vous aviez discuté et elle t'avait subtilement comprendre qu'elle avait
un peu envie de coucher avec toi et que c'était
pas si grave, parce que vous aviez aucun lien de sang. de une, tu l'admirais beaucoup, mais il n'était pas question que tu fasses ça, de deux t'avais aucune attirance pour elle. peut-être que t'en avais été amoureux, enfant, mais entre temps t'en avais vécu des choses.
bon...
qu'on se le dise, maintenant, avant que ce soit gênant :
tu n'avais d'attirance pour
personne.
ni homme, ni femme, ni machine ou animal.
- tant mieux -
et tu n'avais pas vécu
tant de choses que ça.
en fait, sur un plan amoureux, t'avais rien vécu.
et c'est toujours d'actualité...
mais du coup, l'annonce du fait que tu sois possiblement gay résonna bizarrement, et ta tante commença a dire des trucs du genre «
ah mais c'est vrai qu'il nous a jamais parlé d'une petite copine... » et je vous passe les meilleurs. du coup, en plus d'être tombé dans une famille
intolérante et
raciste, t'étais tombé sur une famille
homophobe. fallait dire que t'étais ravi.
encore plus quand tes parents avaient annoncé que tu partais en pensionnat à la rentrée.
juste au cas où.il faut bien vous avouer que ça n'avait pas toujours été autant le bordel dans ta vie. bien au contraire, tu étais né en chine, et tu avais été abandonné dans un orphelinat, tes parents ne pouvaient certainement pas t'assumer, en tout cas, tu avais été adopté par deux parents très aimants, français. avec eux, tu avais un peu fait le tour du monde, plusieurs fois, tu n'étais jamais vraiment allé à l'école, c'est diane, ta mère, qui te faisait les cours
à la maison. ton père, lui, te sensibilisait à l'art.
vous aviez traversé la chine de part en part, quand tu avais à peu près dix ans, à la recherche de tes parents biologiques, et vous étiez arrivés devant la petite porte branlante d'une ferme de campagne. tu avais frappé, avec ton petit poing d'enfant, et une jolie dame t'avais ouvert. malheureusement, elle t'avait gentiment dit que ça ne pouvait pas être eux, ils n'avaient jamais eu d'enfant. ta mère biologique avait donc accouché sous un faux nom. vous aviez décidé d'abandonner les recherches après ça, faute d'autres pistes.
finalement, quand t'allais entrer au lycée, tes parents avaient décidé de se réinstaller dans leur maison, à polaris, en asteria. pour être honnête c'était la première fois que tu revenais depuis des années et la seule chose qui t'avais choqué, c'était les araignées : elles étaient partout et elles avaient bien gardé la maison, tu avais eu un pincement au cœur en les chassant. c'était cet été là que tes parents et toi étaient allés en france pour voir la famille, et que juliette avait décidé de pourrir ta vie. vous voyez, si t'avais été un parfait petit con, t'aurais gueulé à tout le monde que juliette c'était juste un salope, mais en vrai tu t'en foutais, elle te donnait une bonne raison pour partir, et c'était typiquement ce que tu voulais.
pourquoi ?
pourquoi alors que tout allait bien avec tes parents ?
sauf que tout n'allait pas si bien avec tes parents.
depuis que vous étiez rentrés, nathan - ton père - s'était trouvé un taff dans une petite entreprise et ta mère travaillait pour aether. plus ton père devenait beauf, plus ta mère devenait psychorigide. fallait croire que la crise de la quarantaine épargnait personne,
finalement.
tes années en internat ne firent que te conforter dans l'idée que - même si tes parents t'aimaient, réellement - vous étiez tous les trois devenus des étrangers. sans les voyages, vous n'aviez plus rien en commun, et tu comptais généralement les jours jusqu'à repartir au pensionnat. là-bas, tu te découvris une passion pour le théâtre, une passion que tu avais à la base pour la danse - grâce à ton meilleur ami - mais t'étais bien trop maladroit pour la pratiquer. et, n'ayant pas beaucoup de relations sociales - pas du tout en réalité - tu commençais à taffer sur le net. tu faisais ton travail mieux que personne, trier et taguer des vidéos pornographiques. ok, le travail était légal, ok, le fait que tu sois mineur l'était moins, mais tu t'en fichais, tu ressentais aucun plaisir, aucun désir à ce que tu voyais et de ce fait tu allais vite. globalement, tu aurais pu regarder n'importe quel autre type de vidéo, ça t'aurait certainement plus plu, mais ça payait moins.
quand tu étais rentré, tu avais finalement annoncé à tes parents que tu étais pris dans l'une des grandes écoles de maths de polaris - à la grande joie de ta mère ! - mais que tu voulais continuer le théâtre, tu avais d'ailleurs réussi à négocier des horaires aménagés. la secrétaire avait dit quelque chose comme "
c'est bien la première fois que je vois un mélange aussi bizarre mais pourquoi pas." en tamponnant l'accord. personne n'avait posé de questions sur comment tu avais pu te payer les deux, et tant mieux parce que tu n'aurais pas su quoi répondre. tu avais fais tes valises et tu t'étais jeté un peu à l'inconnu, entre les résidences étudiantes pourries et si mal insonorisées que t'entendaient tes voisins copuler comme s'ils étaient chez toi. puis freya - le-dit meilleur pote danseur - t'avait parlé de son plan coloc. t'avais sauté sur l'occasion, parce qu'il te manquait - tu savais même pas qu'il s'était installé à polaris pour être honnête - et parce que t'avais terriblement besoin d'un logement.
t'avais signé avec le diable,
mais qu'importe si le diable a de bons arguments,
non ?