enfant de salem

vitres éteintes la ville dort.
narcisse est une ombre, démon minuscule alors qu'il traverse polaris d'un pas pressé, sa marche résonne sur le bitume et il se faufile, on le voit à peine passer. immeuble des chiens de chasse, narcisse n'est pas grand chose au milieu du gris et du sombre, au milieu des rayons de lune et des étoiles qui tombent sur le monde. ses doigts tapent le code de la grande porte, c'est comme si son cerveau fonctionnait bien trop loin, il n'y pense pas beaucoup. il est loin narcisse, il est déjà arrivé au quatrième étage, petits pas silencieux dans le couloir, moquette qui sent la pauvreté, on peut voir la misère, elle est présente partout, elle recouvre la poussière et pose ses mains sur les yeux des plus grands, elle se cache.

clé, serrure, porte qui s'ouvre en grinçant. le visage d'une voisine du même âge que lui, elle n'a rien pour elle, sa vie est un flot tranquille dans lequel elle s'est noyée depuis bien longtemps. misère, partout, terrible, elle leur rit au nez alors qu'il baisse les yeux sur ce qui l'enterra. une lueur d'espoir de mauvais augure, une perle de pureté emmitouflée dans des draps blancs, bien chauds, qui le protègent des griffes acérées de la pauvreté.

narcisse a un fils, un enfant, un petit. il s'appelle sooyun, il n'aime pas ce nom mais elle l'a choisi et n'a pas donné d'alternatives. il n'a pas ses traits, il a plutôt les siens, ça l'aide à nier, ça l'aide à ne pas tenter de se rappeler de ce qu'il s'est passé ce soir-là. elle, elle était revenue au bout d'un an, elle était venue avec ses traits durs et ses longs cheveux putain elle est même pas bonne s'était dit narcisse alors que la nouvelle tombe, presque funeste, douloureusement vraie. ce n'est pas une blague et ça le laisse halluciner, il reste bouche-bée, il ouvrait la bouche plusieurs fois comme une carpe un parpaing dans l'estomac. c'était inutile de dire quoi que ce soit, elle lui met son enfant dans les bras et il doit bien se rendre à l'évidence qu'il était là. vivant. gazouillant et tout sourire, comme s'il se moquait de lui, lui aussi. narcisse devait bien se rendre à l'évidence.

études, travail, argent. la société se moque de narcisse, elle rit et fait l'indifférence. on n'accorde pas son attention à un enfant qui en élève un autre. narcisse est majeur et il travaille c'est tout ce qui importe. le partiel devient plein ; il délaisse les études doucement. il a besoin d'argent, toujours plus d'argent. il devient triste et gris narcisse, il devient un peu morne, un peu terne, il bouge mais c'est comme si le monde allait trop vite, comme si son corps était engourdi. tout va trop vite.

tout va trop vite.