- STAR STRUCK -

Les rires et les cris emplissent l’unique pièce qui vous sert de domicile. Ton premier souvenir est d’elle, de sa main autour de la tienne qui t’entraine, qui te fait vivre. Tu te souviens du visage de ton père, de la tendresse de ta mère. Une enfance joyeuse qui t’a été enlevée trop tôt. Des souvenirs à saveur de rêve, l’impression que tu as inventé cette insouciance, qu’elle n’a jamais réellement existée. Et ton cœur qui se brise alors que ta main se resserre sur l’unique photo de vous quatre souriants. Tu la remets dans ton portefeuille au cuir de qualité bien qu’abimé avant de le lancer sur ton sac un peu plus loin. Ta main vient essuyer la sueur sur ton front alors que tu te lèves. Tu enfiles tes gants de boxe, en resserre la ganse avec tes dents et tu lances le premier poing sur le sac. Et puis un deuxième, un troisième. Le temps passe, s’effrite et tu continues jusqu’à l’épuisement.


Sac sur l’épaule, tu pousses la porte du petit appartement que tu partages avec ta mère. « I’m home. » Ta voix te revient en écho, inquiétant, solitaire… et c’est comme si le temps remontait et que tu te retrouvais au moment où tout avait changé, où vos vies avaient basculé. T’as l’impression d’avoir 10 ans encore, de rentrer de l’école pour trouver une maison silencieuse à l’opposé de ce que tu avais l’habitude. Tu retires tes chaussures, franchit le pas de l’entré vers le salon. Une feuille blanche traine par terre. Tu t’agenouilles pour la lire, l’atmosphère est étrange, tu en as des frissons incontrôlables. Les mots te disent quelques choses, mais encore trop jeune pour en comprendre le sens. « Dad ? » Tu entends ta voix enfantine qui demande, qui supplie. Tu te vois te lever et aller pousser la porte de la salle de bain. L’envie de t’arrêter, de t’empêcher d’ouvrir la porte, mais seulement l’impuissance qui te pèse, qui t’immobilise. La porte s’ouvre et le corps tangue sous le courant d’air. Un cri te déchire la gorge alors que la figure pendue de ton père te supplante.

Une main se pose sur ton épaule et tu reviens à toi. « Jade ? » Tu te retournes et elle est là, le visage vieillit par la douleur, par la peine. Tes lèvres s’étirent par automatisme et tu poses ta main sur la sienne. Les larmes ne coulent plus, elles sont incapables de naître désormais. Et tu le vois dans son regard, tu sais qu’elle ne te reconnait plus, que tes sourires vides ne font qu’aggraver sa peine et pourtant tu ne peux rien y faire. Tu prends le sac qu’elle a à la main et viens le poser sur le comptoir de votre cuisine. Tu l’aides à préparer le repas, et vous mangez. Vous parlez de tout, de rien, évitant avec habileté les sujets sensibles, les sujets douloureux dont l’absence pèse constamment dans l’air. Tu fais la vaisselle avant de t’isoler dans ta chambre.


Si grande et si vide. Comme toi. Comme ce vide qui s’est installé depuis qu’ils sont partis. Tu te souviens de l’enterrement comme si c’était hier. Vos larmes qui ne cessent de couler, les gens en noir qui viennent dire leurs adieux, qui lancent des mots vides, vague encouragement à votre douleur. Et quand tous sont partis, quand il n’y a plus que vous trois, tu la vois briser. Tu vois le masque tomber et les larmes couler. Et ça te brise le cœur en mille morceaux, en mille pièces impossibles à recoller.  


Au moins, elle est là. Elle l’a toujours été… et niaisement, tu as cru qu’elle le serait toujours. Ce petit bout de femme qui était né quelques minutes avant toi, cette entité qui avait partagé tous les moments de ta vie. T’avais cru qu’elle irait jamais nulle part, alors t’es parti, tu t’es éloigné. La peur de tout perdre, la peur que ton monde se retourne à l’envers une fois de plus. Les cauchemars qui venaient te hanter chaque nuit, les larmes qui venaient sans cesse…jusqu’au jour où elles ne vinrent plus du tout. Vivre chaque jour par automatisme, chaque action posée par habitude. Les lèvres qui s’étirent en sourire, le rire qui s’élève, mais l’émotion qui s’absente, qui devient de plus en plus rare, jusqu’à ne plus exister. Et au travers de tout ça, le nouveau mari, le déménagement. Un nouveau pays, une nouvelle vie. Telle était la promesse qu’on vous avait fait. L’abondance pour la première fois depuis ta naissance. La vie semble enfin vous sourire.

Avant que tout ne retombe rapidement, que l’utopie n’éclate en morceaux. C’est comme un coup de poing en plein visage, c’est comme un vide qui te déchire de l’intérieur. L’histoire se répète. Elle est là, pour la dernière fois. Elle tire son dernier souffle seule, incapable de vivre, incapable de continuer à faire semblant. Elle est là, son corps qui pend comme celui de ton père autrefois. Sauf que cette fois-ci, t’es assez vieux. Assez vieux pour lire la note, assez vieux pour comprendre, assez vieux pour savoir que c’est de ta faute. Si tu t’étais arrêter ne serait-ce qu’un instant de t’apitoyer sur ton sort, si tu avais tendu l’oreille pour elle… les choses ne se seraient peut-être pas passées ainsi. Les yeux secs, mais la rage au cœur, tu détaches son corps sans vie et l’enserres en murmurant comme un mantra, comme une prière. « I’m so sorry Crys’. »


La porte ouvre et tu vois rouge. Le poing vole et atterris avec un craquement retentissant. Tu entends à peine les cris de ta mère et ceux de ton beau-père, tout ce que tu entends c’est le bruit de ton poing qui s’enfonce dans la chair de cet enfoiré qui a abusé de ta sœur. Sang, douleur, sirène de police. Des bras viennent t’enserrer, t’éloigner, te contenir. La lettre blanche avec l’écriture de ta jumelle qui se tâche lentement de carmin. Ta mère qui lit, qui cri, qui pleures, qui se brise. Policiers partout, avocat, procès. A 19 ans, la vie a perdu son goût, elle a perdu sa couleur. Enveloppe vide qui fonctionne par mécanisme, qui se mouve par automatisme. Jadeite, tu n’arrives pas à mettre fin à ta vie, tu n’as pas le droit, tu n’as pas encore mérité ta mort. Alors tu bouges, tu aspires à quelque chose, à aider, à te racheter.


Tu te réveilles le lendemain aussi vide que la vieille. Et la routine s’installe à nouveau. Inconscient de cet astre qui s’est installé en son centre, de ce parasite intrus qui porte le nom de Saturne.